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Donner un prix au crédit de carbone : Le retour au « Juste prix » de la Scholastique ?

L’idée de donner un prix au carbone afin de lutter contre le réchauffement climatique emporte l’adhésion de l’ensemble des décideurs politiques et économiques. On y parvient par différentes mesures : réglementation, fiscalité, finance verte et marchés de carbone. Ces derniers se divisent en marchés réglementés et marche volontaire.

Quels sont les mécanismes de marché qui concourent à la formation des prix sur ces deux marchés ?

Les Marchés de carbon règlementés et le marché volontaire

Dans la théorie classique de la formation des prix, ceux-ci résultent directement de la confrontation de l’offre et de la demande globales. Leur confrontation doit provoquer les ajustements de prix, nécessaires à l’obtention d’un équilibre.

Mais l’existence d’un marché suppose que deux conditions soient remplies : les biens ou services en cause doivent être fongibles, c’est-à-dire de choses qui se remplace par des choses de même nature, de même qualité et de même quantité ; l’autre condition est qu’il y ait un lieu d’échange.

Le marché de carbon réglementé répond bien à ces définitions et catégories.

– Les quotas ou autorisations à émettre ont tous la même valeur : un tonne d’équivalent CO2.

– Des plateformes centralisées permettent les échanges au quotidien de toutes les parties du monde.

Tel n’est pas le cas du marché de carbone volontaire : il manque d’organisations centralisées d’échange et les crédits de carbone générés par les projets de réduction ou d’absorbation ont bien la même valeur au plan du volume unitaire mais différent sur les mesures de développement durable qui les accompagnent.

Comment donner un prix au carbone sur le marché volontaire ?

En fait, un crédit de carbone représente, à la fois, une réduction ou une absorption de GES mais également la réalisation d’actions diverses en faveur du développement durable : « beyond carbon » suivant l’expression consacrée et qui peuvent être illustrées par les icones, crées par les Nation Unies, et symbolisant des buts ou « Global Goals for Sustainable Development » (SDG).

Il en résulte que chaque projet de carbon est profondément différent et qu’il est difficile de l’évaluer sur une base objective. Ce sont les préférences des acheteurs par rapport à ces buts qui influent sur le prix.

Le « Juste prix »

Le juste prix est une notion développée par Saint Thomas d’Aquin qui assigne à un bien une valeur basée sur des fondamentaux qui doit être distinguée du prix de marché qui correspond à la « valeur courante » de ce bien. Le juste prix peut correspondre au prix potentiel estimé à partir d’éléments considérés objectifs (coût, utilité, rareté, etc.) ; à un substitut du prix de marché quand il n’existe pas de marché organisé donnant une référence fiable ; ou enfin, au prix souhaitable en fonction d’appréciations éthiques.

L’approche de Gold Standard semble s’en rapprocher.

L’ONG Gold Standard, l’une des principales organisations validatrice, a posé la question de la « valeur » d’un crédit de carbone. Pourquoi les crédits de carbone qui représentent le même volume de GES évité ont-ils des prix différents ? Pour y répondre, elle analyse trois notions :

1) Le marché volontaire ne peut s’en remettre simplement à la loi de l’offre et de la demande.

Son objectif est la sécurité climatique et l’accès aux droits humains fondamentaux tels que la nourriture, l’eau, l’éducation et une bonne santé. Ne pas tenir pleinement compte de la valeur réelle qu’ils apportent en termes d’avantages pour le développement au-delà du carbone peut accélérer une course vers le bas, ce qui signifie que les projets de la plus haute qualité pourraient être les premiers à échouer.

2) Un modèle basé sur les coûts prend en compte les coûts de mise en œuvre d’un projet et doit être utilisé pour aider à assurer la viabilité permanente des projets. Pour appuyer cette analyse Gold Standard utilise le modèle de prix minimum « Fair Trade ». Celui-ci calcule un prix minimum qui garantit que les coûts moyens des projets seront couverts, plus une « Prime Fair Trade » supplémentaire qui va directement à la communauté locale pour financer des activités et qui les aident à s’adapter et à devenir plus résilientes à un climat déjà changeant. L’ONG établit ainsi le prix minimum Fair Trade pour certains types de projets éligibles (d’efficacité énergétique, d’énergie renouvelable et de boisement / reboisement) :

– Efficacité énergétique : 8,20 € / tCO2e + 1 € de prime Fair Trade

– Énergie renouvelable : 8,10 € / tCO2e+ 1 € de prime Fair Trade

– Gestion forestière : 13 € / tCO2e + 1 € de prime Fair Trade

3) Les prix basés sur la valeur livrée. Les projets de carbone vont bien au-delà de l’atténuation des émissions de GES. L’utilisation d’un modèle axé sur la valeur pour fixer un prix pour les crédits de carbone doit vraiment rendre compte de tous les impacts environnementaux, sociaux et économiques d’un projet spécifique, c’est-à-dire à la fois en termes de réduction des émissions et d’avantages supplémentaires pour le développement qui peuvent transformer des vies.

L’approche de l’EPA : le coût social et environnemental.

L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), de son côté, a publié un rapport, mis à jour en 2015, afin d’estimer le coût total du carbone pour la société. Il établit que pour chaque tonne de dioxyde de carbone que nous émettons dans l’atmosphère, nous sacrifions entre 11 $ et 212 $ en dégradation de l’environnement et en impacts sociaux négatifs.

Définir le juste prix des crédits de carbone est une tache complexe tant les déterminants sont nombreux et variés. Cependant, l’évaluation de l’EPA peut nous aider à définir un « prix plancher ». L’acheteur de crédit de carbone doit savoir qu’en dessous de son seuil inférieur soit 11 $, le prix du carbone n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux.